les Aigles de Carthage racontent leur séjour à Benghazi – Jeune Afrique

Des membres de la délégation tunisienne ont accepté de raconter à « Jeune Afrique » leur déplacement en Libye, où aucun match à domicile n’avait eu lieu depuis 2013.
Un voyage-éclair, d’à peine deux jours, un match sans enjeu pour les Tunisiens, déjà qualifiés pour la prochaine Coupe d’Afrique des nations (CAN) depuis le mois de novembre, mais pas pour la Libye, qui abattait là sa dernière carte.
Surtout, une confrontation hautement symbolique, entre deux pays intimement liés. Et une ville – Benghazi – choisie pour accueillir les retrouvailles de la sélection libyenne avec les standards internationaux, près de huit ans après le dernier match à domicile, le 14 août 2013 face à la Centrafrique (0-0) en amical, à Tripoli.
Depuis, la Libye avait pris l’habitude de recevoir les équipes au Maroc, au Mali, en Tunisie ou en Égypte. « La Confédération africaine de football (CAF) avait estimé que la Libye était désormais en capacité d’organiser un match entre deux sélections. Nous n’avions formulé aucune objection, car la Libye est un pays frère. Et si elle va mieux, la Tunisie va mieux aussi. Nous avons simplement dit que nous préférions Benghazi à Tripoli, pour des raisons de facilité de déplacements et de sécurité. Nous avions envoyé, avant notre arrivée, des émissaires pour visiter l’hôtel, le stade et qu’ils nous rendent compte de l’ambiance sur place », précise Kaïs Raguez, le responsable de la communication de la Fédération tunisienne de football (FTF).
« L’impression d’être dans un film »
C’est à Benghazi, la frondeuse, qu’était née la révolution libyenne. C’est là, dans cette cité qui s’estimait ostensiblement méprisée par le pouvoir, que les Aigles de Carthage ont séjourné pendant deux jours, avec plus ou moins d’appréhension. « Quand j’ai appris que nous irions jouer en Libye, et notamment à Benghazi, j’ai été un peu surpris, car c’est un pays qui commence seulement à sortir d’une longue guerre, et où tout n’est pas réglé. La première chose à laquelle j’ai pensée, c’est la sécurité », admet le défenseur Oussama Haddadi, ancien capitaine du Club Africain et aujourd’hui joueur de Kasimpasa (Turquie).
Moins circonspect, Souhail Chemli, le médecin de la sélection nationale, assure pour sa part ne pas avoir ressenti d’inquiétude particulière en amont de ce déplacement. « J’ai des amis en Libye, dont un qui travaille dans les services de sécurité, et qui m’avaient donné des informations plutôt rassurantes. Les choses ont changé. À une époque, il y avait des attentats tous les jours. Aujourd’hui, c’est différent, même s’il y en a eu un quelques jours avant notre arrivée. »
À l’aéroport international de Benghazi, le bus réservé à la délégation tunisienne et l’escorte policière attendaient directement sur le tarmac, pour filer le plus vite possible à l’hôtel. « Des motards et deux voitures de la police », précise Kaïs Raguez. Pas de trop à l’heure de pointe, signe que la vie a repris un cours (presque) normal.
Déjà, à l’aéroport, j’avais remarqué qu’il y avait sur certains bâtiments quelques impacts de balles
Calé dans son siège, Oussama Haddadi n’a pas perdu une miette du décor urbain. « Ce fut une impression bizarre. Déjà, à l’aéroport, j’avais remarqué qu’il y avait sur certains bâtiments quelques impacts de balles. Dans la ville, certains quartiers sont animés – on voit du monde dans les rues, des commerces, avec quelques boutiques de grandes marques, des restaurants ouverts. À un moment, nous en avons traversé un autre. Il n’y avait quasiment personne, tout ou presque était détruit. J’ai eu l’impression d’être dans un film ».
Renseignements pris, le quartier que les Aigles de Carthage traverseront plusieurs fois lors de leur séjour était il y a encore quelques années un des bastions de l’État islamique. « On a tout de suite mieux compris pourquoi tout était dévasté », ajoute Kaïs Reguez.
Accueil chaleureux, sécurité maximum
Dans leur hôtel, ultra-sécurisé, les joueurs tunisiens ont reçu des consignes strictes, avec l’interdiction de sortir seul de l’établissement. « En ce qui me concerne, j’ai pu aller en ville, notamment pour visiter un des hôpitaux, explique Souhail Chemli. J’ai eu le sentiment que la situation générale s’améliore. Les Libyens avec qui j’ai pu dialoguer m’ont confié qu’ils avaient confiance en l’avenir, avec la nomination du nouveau gouvernement. Les gens sont fatigués, usés par ces années de guerre et de violences. Ils veulent retrouver une vie normale. Ils savent aussi que cela ne se fera pas en un jour. Et pour eux, le fait qu’un match international se dispute à Benghazi, qui plus est face à un pays frère, est un signe de retour à la normale. »
C’était un test important pour les Libyens, et ils l’ont passé avec succès
Au Stade des Martyrs de Février, interdit au public pour cause de crise sanitaire, les Tunisiens n’ont jamais ressenti la moindre agressivité de la part des quelques personnes autorisées à assister au match. « Cela a été à l’image de l’attitude des Libyens partout où nous sommes allés. Nous avons été applaudis après notre victoire, on a fait des selfies, offert quelques maillots », insiste Kaïs Reguez.
L’organisation sans faille de ce premier déplacement en Libye d’une délégation sportive étrangère depuis 2013, initiée par la CAF, a été suivie de très près par l’instance. « C’était un test important pour les Libyens, et ils l’ont passé avec succès. Je pense qu’ils pourront accueillir d’autres rencontres internationales prochainement », résume le docteur Souhail Chemli. Le deuxième tour des qualifications pour la Coupe du monde 2022 au Qatar débutera au mois de juin prochain. La Libye, engagée dans le Groupe F avec l’Angola, le Gabon et l’Égypte, attend désormais le feu vert de la FIFA pour savoir si elle pourra accueillir, à Tripoli ou Benghazi, ses trois adversaires…