le milliardaire sud-africain Patrice Motsepe pourra-t-il redresser la CAF ? – Jeune Afrique

C’est un homme richissime, mais qui n’avait jamais eu de responsabilité dans l’administration du football africain qui vient d’être porté à la tête de la CAF. Ses liens avec la FIFA et sa capacité à évoluer en milieu méconnu seront surveillés de près.
D’une candidature surprise à une victoire sans suspense… Telle fut l’ascension fulgurante et inattendue de Patrice Motsepe dans les instances du football africain. Une progression en sous-marin, pour le beau-frère du chef de l’État sud-africain, Cyril Ramaphosa. Un candidat furtif à l’extrême, absent pour cause de Covid-19 lors de l’annonce de sa candidature pour la direction de la Confédération africaine de football (CAF). À l’heure des visioconférences, l’aspirant président n’est même pas présent.
Le poste, murmure-t-on dans le milieu, ne lui ressemble pas. « Patrice Motsepe est plus un fan de football qu’un dirigeant de football », résume le journaliste sportif sud-africain Khuliso Nemarimela. Certes, le Mamelodi Sundowns, le club qu’il a acheté en 2004 et qui est devenu champion d’Afrique en 2016, est l’un des poids lourds du continent et son succès est évidemment lié aux investissements de Motsepe. Mais le milliardaire « ne s’impliquait pas vraiment dans la gestion administrative du Mamelodi Sundowns », raconte Khuliso Nemarimela, qui suit l’équipe de Pretoria depuis 2014.
Un profil qui détonne
Dépourvu d’expérience dans les institutions du football, le Sud-Africain détonne. Les deux précédents présidents de la CAF, Issa Hayatou (1988-2017) et Ahmad Ahmad (2017-2021), avaient auparavant dirigé des fédérations. Tout comme les trois candidats qui affrontaient Motsepe avant se retirer de la course : le Sénégalais Augustin Senghor, l’Ivoirien Jacques Anouma et le Mauritanien Ahmed Yahya. Tous étaient également francophones, contrairement au Sud-Africain.
Disruptive, la candidature de Motsepe ? L’originalité du parcours s’arrête là. L’outsider ne s’est pas affranchi d’engranger les alliés nécessaires. Il a obtenu le plein soutien du Conseil des associations de football en Afrique australe (Cosafa), représentant quatorze fédérations. Il a également réussi à réunir autour de sa candidature deux personnalités qui ne s’apprécient guère : Danny Jordaan, le président de la fédération sud-africaine de football, et Irvin Khoza, président de la ligue de football locale. Surtout, Patrice Motsepe s’est présenté avec le soutien officieux d’un influent parrain : Gianni Infantino, le président de la Fédération internationale de football (FIFA).
Janvier 2020. Patrice Motsepe participe au Forum économique mondial de Davos en Suisse, « la meilleure institution du monde » selon lui. Un dîner est organisé en présence du président américain d’alors, Donald Trump. Le plan de table offre l’image prémonitoire d’une association future : Gianni Infantino et Patrice Motsepe assis côte à côte. Un an plus tard, Patrice Motsepe est élu à la tête de la CAF avec l’étiquette de « candidat de la FIFA ». Infantino n’intervient pas publiquement pour soutenir le Sud-Africain lors de la campagne, mais le scénario en cours d’écriture ne trompe personne.
Pacte et récompenses
Alors que la compétition promettait d’être rude face aux candidatures solides des trois Ouest-Africains, la FIFA met fin au suspense. À deux semaines de l’élection, elle envoie deux émissaires au Maroc pour rencontrer les prétendants et dissoudre toute concurrence. Un deal leur est proposé : en échange d’une candidature unique derrière Patrice Motsepe, les adversaires obtiennent une place dans l’organigramme de la CAF.
Le nombre de vice-présidents passe de trois à cinq, afin « d’assurer une meilleure représentation de toutes les composantes de la CAF au sein du bureau du comité exécutif », justifie la confédération. Pour son désistement, Augustin Senghor obtient le poste de premier vice-président, Ahmed Yahya le second. Jacques Anouma, qui avait jugé « pas trop démocratique » ce « pacte de Rabat », accepte un nébuleux poste de conseiller spécial du président. Les dissensions ont été étouffées sous les acclamations ayant servi, faute de compétiteurs, de mode de scrutin pour élire Patrice Motsepe.
L’ombre de Gianni Infantino
Fraîchement installé à la présidence de la CAF, le milliardaire a été invité à expliquer la nomination de Véron Mosengo Omba au poste stratégique de secrétaire général de la CAF. Le Congolais faisait partie des émissaires du pacte de Rabat envoyés par la FIFA pour convaincre les candidats de se ranger derrière le Sud-Africain. Est-il un relais de Gianni Infantino au cœur du football africain ? Le président Motsepe ne voit là que la promotion d’un professionnel très respecté.
L’influence supposée du patron de la FIFA sur le continent ne dérange pas l’ancien international sénégalais El Hadji Diouf. « Gianni fait un travail exceptionnel, on n’a jamais eu un président de la FIFA aussi africain », assure-t-il. En effet, en pleine campagne pour la présidence de la CAF, Gianni Infantino visitait six pays et leurs chefs d’État. Officiellement pour des projets de développements avec la FIFA, mais le calendrier interroge. El Hadji Diouf préfère malgré tout se concentrer sur le résultat du scrutin. « Le football africain avait un problème, il était malmené. C’est l’homme qu’il faut pour la CAF », soutient l’ancien attaquant de Liverpool, qui parle de Patrice Motsepe comme d’un « ami » et d’un « frère ».
Patrice Motsepe incarne « une bouffée d’air frais, un souffle nouveau », se réjouit pour sa part Phillip Chiyangwa, le président du Cosafa. Les prises de position de Chiyangwa ne sont pas anodines : les 14 fédérations du Cosafa ont contribué à faire élire Ahmad Ahmad en 2017. Lesté par les affaires, le Malgache a été empêché de se représenter : le 8 mars, le Tribunal arbitral du sport (TAS) l’a condamné en appel à deux ans de suspension de toute activité relative au football. Il est reconnu coupable d’« acceptation et distribution de cadeaux et autres avantages », d’« abus de pouvoir » ainsi que de « détournement de fonds ». Malgré le sérieux des accusations, le Cosafa a longtemps fait bloc derrière Ahmad Ahmad, dénonçant « une persécution, des attaques injustifiées et des atteintes à son intégrité ».
Un gestionnaire
Ces quatre dernières années, la CAF a plongé dans une crise morale et financière. En 2019, Ahmad Ahmad rompt un contrat d’un milliard de dollars signé sur dix ans avec le groupe Lagardère pour la gestion des droits médias marketing de la CAF. Conséquence, le football africain est aujourd’hui un écran noir sur les télévisions du continent. Danny Jordaan, le patron de la fédération sud-africaine, en a fait une priorité : « Si vous voulez regarder n’importe quel match de football continental, il ne sera diffusé sur aucune chaine. Et ça, c’est un revenu de plus de 200 millions de dollars qui est perdu pour le football africain. » Depuis deux ans, les finances de la CAF sont d’ailleurs mal en point : en 2020, cette dernière a perdu 11,4 millions de dollars.
Question finances, il sait y faire faire, question football c’est autre chose. »
Or s’il est une qualité que personne ne conteste à Patrice Motsepe, c’est sa capacité à générer de l’argent. « J’ai commencé dans les affaires en achetant des mines qui étaient déficitaires, vieilles et fermées », résume sommairement le magnat. Son auditoire connaît de toute façon la suite : fortune dans les mines dans les années 1990, diversification de ses activités dans les assurances et les services financiers, premier milliardaire noir d’Afrique du Sud, neuvième fortune africaine et l’un des « 100 esprits d’entreprise » du siècle, selon le magazine Forbes. Pour le journaliste sportif suf-africain Lenn Moleko, la CAF a élu un gestionnaire. « Question finances, il sait y faire faire ; question football c’est autre chose, analyse-t-il. Avec son club il a fait du bon travail, mais est-ce la bonne personne pour diriger le football africain ? »
Élu à l’issue d’un scrutin qui, au final, n’a pas vraiment eu lieu, Patrice Motsepe sait qu’il va devoir convaincre. « J’attends de lui qu’il soit proactif et réellement disponible pour les membres de l’association », annonce Lamin Kaba Bajo, le patron de la fédération gambienne de football. Patrice Motsepe prévoit de rencontrer tous les présidents, sans exception, durant sa première année de mandat. Soit – si on le prend au mot – 54 visites en 52 semaines.
Le débutant veut aller vite et promet de ne pas se représenter si son mandat n’est pas concluant. En attendant, Patrice Motsepe dit ressentir « une urgence absolue » à réparer le football africain. « Sauvez notre football ! », suppliait le journal sud-africain Mail&Guardian dans ses colonnes. « Il est un peu comme Tony Stark [le héros Marvel] : il a l’argent et il pense pouvoir sauver le monde avec, conclut Lenn Moleko. Mais il n’est pas un super héros. »